Vous zizi ? je vous croyais zozo - 2

Publié le par Le Père Peinard

Vous zici ? je vous croyais zozo ! 1

 

Ayant choisi les horaires les plus tardifs et trainant volontiers dans les couloirs, je suis souvent le dernier client. J’ai pris l’habitude d’indiquer au susdit contremaitre la météo qu’il va trouver en sortant. Cette attention l’a ému et quelques jours après, mis en confiance, il me confiera ses griefs sur les conditions de travail, les horaires, les jeunes collègues bordéliques, la paye et l’autre vie où il était coiffeur. La nuisance principale est de travailler de 7h du matin à 14h de l’après-midi, sans voir la lumière du jour, troglodyte oblige. 7 heures pendant 6 jours, 42 heures semaine pour un salaire qui dépasse rarement le smig. D’où le fort turn-over qui explique la jeunesse du personnel en général. Les seuls anciens sont des femmes du pays, petits chefs dans les blocs de soins, qui se partagent le pourboire final.

Gréoux Les BainsLes Thermes coté Ouest

 

Il ne faut pas trainer : les 3 ou 4 soins du jour sont séquencés selon des horaires qui n’autorisent pas la flânerie ou la curiosité dans les couloirs. La routine s’installe : pédiluve et douche chaude à l’entrée du circuit, sous le regard sévère d’une contremaitresse qui vérifie impérativement les feuilles de soins et oriente vers la première station de ce qu’il faut bien appeler un véritable chemin de croix : La Mobilisation Active en Piscine.
Rappel : la mobilisation n’est pas la Guerre… 1914...

 

Un pointage à l’entrée, une réflexion si retard. L’opération est cadencée. Un bataillon arrive et enlève peignoir et tongs dans la partie droite du double vestiaire où la place est comptée. La cohorte précédente quitte la piscine par la gauche pendant que la nouvelle passe sous la douche d’entrée et gagne le double bassin d’aquagym avec barres d’appui. L’eau est chaude, la lumière basse, la monitrice jeune, polonaise et sportive. Elle règne depuis sa plate-forme sur une population féminine à 80%. Dix minutes d’exercices. Flexion, extension, pédalage, rétropédalage, contorsion – sauf pour celles qui ont des prothèses de genoux ou de hanche. Qui n’a pas sa prothèse ?

 

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Un chemin de ronde pour morigéner les cancres du fond qui ont tendance à limiter leur aquagym à une planche relaxante avec de vagues pédalages et de faux cris de douleurs. C’est bon, demain nous verrons la mobilisation des épaules… La cohue de la sortie où le flot sortant heurte le flot rentrant permet de barboter au fond de la piscine enfin libre. Il faut également éviter les mémés qui se bousculent pour gagner les trois places au pied de l’estrade.

Car le kiné suivant est jeune, grand, mince, brun.  Et son mini-short baille. D'ennui.

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Puis retrouver peignoir et tongs. Souvent mélangés. Une dame à l'air plutôt borgne m’a emprunté par mégarde mon peignoir et donc la feuille de soins dans la poche. A l’entrée du bain de boue, mon changement de sexe m’est signalé sans indulgence. J’incrimine les eaux et leur radioactivité… Regards sévères de toute la robuste brigade en blouses blanches. J’ai prononcé le mot tabou.

 

Les salles de soins sont dispersées sur un bon hectare de couloirs et de carrefours à la signalétique rendue difficilement lisible par la faiblesse de l’éclairage et la confiscation des lunettes. Une partie du personnel se consacre à guider les clients dont la plupart ne se souviennent même pas du prénom d’Alzheimer. Je me contente de suivre ceux dont j’ai constaté qu’ils avaient le même programme et les mêmes horaires que moi. Va pour les pédi-bains de boues.

 

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Le comptoir d’entrée et de pointage est tenu par une aimable martiniquaise de Seine et Marne qui n’apprécie que modérément mes facéties qui sont autant d’atteinte à la dignité de sa fonction. A peine pardonné le changement de sexe, je conteste l’obligation faite de marcher dans le bassin de boues glissantes au risque de se noyer à la moindre chute dans cette épaisse soupe de kaolin. Je m’assieds donc sur le bord et barbotte en remuant pieds et jambes. J’affirme haut et fort que ce ne sont pas des bains de boues qui me sont prescrits mais des bains assis. Et quelques pénitents m’imitent immédiatement. J’en profite pour faire circuler une pétition suggérant de remplacer le kaolin par du chocolat. Sans succès.

 

Officiellement l’eau thermale jaillit d’un forage à 1000 mètres de profondeur et à quelques centaines de mètres des Thermes. Profitant d’une question d’un impotent sur la température de l’eau, j’insinue sournoisement qu’il s’agit des eaux de refroidissement de la « Centrale » proche. La surveillante déjà alertée par mon changement de sexe intervient pour démentir vivement. Toute tentative ultérieure pour en savoir plus se heurte à un mur général et à une hostilité latente.

 

Nuke Météo nucléaire

Pourtant, sur le trajet d’arrivée par route, nous avons longé pendant deux kilomètres une zone industrielle gardée comme Fort Knox, la réserve fédérale américaine d’or qu’on aperçoit dans James Bond contre Goldfinger : chemin de ronde bordé d’une triple rangée de barbelés doublée coté extérieur d’une clôture électrique de haut voltage si j’en juge par la taille des isolateurs blancs en céramique. Guirlande ininterrompue de panneaux d’interdictions diverses que je n’ai pu déchiffrer. Dans le ciel un hélico ronronne. Je me promets d’en savoir plus.

 

L’étape suivant est la plus agréable : les jets d’eau en piscine individuelle. En termes techniques, ce sont des trombes d’eau. Elles jaillissent de la paroi du grand baquet. Et chacun règle la hauteur d’impact à sa convenance par deux boutons montée et descente. Des chevilles à la nuque en passant longuement sur les reins. On ne peut pas ne pas évoquer la fin tragique de Claude François, victime d’une chute de vibromasseur dans sa baignoire. Le jet dans la piscine 17 est plus puissant que les autres. Je l’exige à l’entrée le jour suivant. Refus. C’est MOI qui donne le numéro.
 

De guerre lasse, j’obtempère mais à peine dans la baignoire je signale la présence d’un préservatif qui flotte entre deux eaux. Emoi, femme de service, gant, seau, expertise. Verdict, gros yeux et grosse voix : c’est du papier hygiénique. C’est pire, laconi-je.Le lendemain, je dénonce avec gravité la présence d’une seringue dans les toilettes. Mon compte est bon. Je vais parachever ma dégradation en arrivant le surlendemain affublé d’un nez rouge de clown. Fou-rire général des clients et des aides soignantes. Indulgence mi-figue mi-raisin de la petite chef. Monsieur est un rigolo. Réhabilitation. Désormais je suis Le Clown.

 

La dernière étape est la plus éprouvante. Au sortir de la béatitude des trombes, un très long couloir conduit à l’extrémité réservée à quelques privilégiés : la sudation en cabine individuelle par application de cataplasmes de boues brûlantes en sachet. Durée vingt minutes alors que la plupart des autres soins ne durent que dix minutes. Un peu d’attente. Le patient est identifié, l’heure d’arrivée notée dans un grand carnet, la feuille de soins confisquée. Pourquoi ? Pour pouvoir vous identifier rapidement. Il y a eu des malaises.

Publié dans Eco - bio et Gastro

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