Pierre qui roule... n'effraye pas la poule !

Publié le par Christian Durand

C’est une vieille maison de campagne aux vastes greniers. En pleine nuit, j’entends distinctement des bruits de pas dans l’un deux. Les pas pesants d’un être humain. Je grimpe discrètement l’échelle de meunier. Les pas cessent. Je m’immobilise.

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In memoriam Saint Martin

Les pas reprennent, réguliers, fatidiques. Le grenier est en chantier d’isolation thermique, sans électricité. Je vais chercher une lampe électrique. Les pas ont cessés. Je balaye le plancher, les murs, les poutres. Rien ni personne. Je redescends. Mais je sens un regard dans mon dos. Je me retourne. Quelque chose a brillé dans le fond obscur de la mezzanine en construction. Il me faut grimper l’échelle de chantier. J’ai peur. Enfant, tout me terrorisait : les couloirs, les recoins, les rideaux, les alcôves, les placards entrouverts, les caves, les greniers, les grottes, les églises, les sous-bois, les gros livres, les jupes des femmes, les serpents, les insectes, même les plantes que je croyais toutes carnivores.


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Le grenier.


Je grimpe lentement l’escabeau instable. J’inspecte soigneusement l’espace où j’ai bricolé pendant la journée. Le soupirail que j’avais laissé ouvert est fermé. J’ai pu le refermer par crainte de la pluie. Les journaux posés sur le plancher pour le protéger de la peinture ont été déplacés. Le vent, sûrement. Rien ni personne. Mais la sensation d’une présence. Le haut des murs est garni d’une poutre sablière sur laquelle repose les chevrons qui portent la volige. J’avais commencé à fixer les bandes de laine de roche entre les chevrons. Et pour cela il m’avait fallu dégager la sablière de tous les débris accumulés par les chantiers successifs. Et pourtant, dans le dernier recoin, sur la sablière, entre deux chevrons, il y a une grosse pierre. Qui n’a aucune raison d’être là.
C’est un très gros galet de la rivière voisine. Je l’observe. Il est gris. Un grain très régulier, trop régulier. Et une forme arrondie, trop arrondie, comme affaissée sur la poutre. Il me semble que la chose a frémi. Mais l’éclairage est faible. La maison aux portes et fenêtres disjointes a connu de nombreuses intrusions animales. Souris, loirs, lézards, énorme couleuvre dans la machine à laver, petit lapin dans le garde-manger, nichée de chats sauvages, essaim de mouches, guêpes, frelons, chauve-souris. Ca suffit, il faut faire un exemple. Il doit s’agir d’un gros rongeur qui fait le mort, d’une fouine, d’une belette, peut-être même un ragondin de la rivière voisine. Je vais chercher la carabine.

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Je m’installe en haut de l’escabeau, la lampe calée sur une poutre en direction de la pierre qui n’a pas bougé. Je braque l’arme vers l’intrus, glisse le doigt dans la gâchette, sur la détente. A trois mètres, je ne peux pas le rater. J’hésite. Si c’est une pierre, la balle de 22 long rifle peut rebondir dans ma direction. Si c’est un rat, il va faire un bond énorme et me charger. Tant pis, il faut faire un exemple. Je presse doucement la détente. A l’instant même, une fente s’ouvre sur le flanc de la chose et l’éclair d’un diamant dresse tous mes poils. L’œil d’une chouette me regarde fixement. Je frisonne de la tête aux pieds. Je relève la carabine, récupère la lampe, redescend lentement, la bouche sèche. J’ouvre le soupirail. Le lendemain, la pierre a disparu.

Publié dans Carnet de route

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